Defi 4 (en fait une reprise, mais j'ai pas honte :D )
Alors que je la regarde, si loin du sol et pourtant a quelques pas de moi, je n'arrive pas a savoir comment agir. Rien, de toute ma vie, ne m'a preparé a cette situation. Mon corps est a l'arret. Mon cerveau sur pause.
-Cassandra, s'il te plais, descend de là.
J'aurais esperé ma voix plus calme, moins tremblante...
Bien sure, on nous en parle beaucoup... Telé, journaux, bibliotheques entieres sont consacrés a ce sujet, des pans entier de notre culture sont voués a l'enseignement de ce fait unique, l'empathie, la comprehension de la souffrance de nos congeneres, et les moyens de la depasser par la parole.. Pourtant, face a elle, assise sur ce rebord de fenetre, a 9 etages de distance d'un lit de bitume, rien ne me vient a l'esprit de tout cet charabia.
La psychologie est decidement un art de divan, pas de fenetre.
Et dire qu'en fac j'avais de si bonnes notes...
-La vue est belle, n 'est ce pas ?
-Cassie, s'il te plait...
-NE T'APPROCHE PAS ! Ne t'approche pas...
Sans meme chercher a parlementer, je m'arrete, a seulement quelques souffles de son epaule, et j'evalue mes chances. Si je suis assez rapide, je peux la ramener a l'interieur, ou elle sera hors de danger. Si je rate, je passerait les deux prochaines decennies a rever de ce moment chaque nuit, et du bruit de son corps sur la pierre, liquefié par l'impact.
-Ne t'approche pas...
Son regard se porte vers moi, baigné de larme, et elle me souris.
-Cassie...ai je le temps de dire, avant que ses yeux ne se ferment.
Alors qu'elle bascule dans le vide, je m'elance. Jamais de toute ma vie, je n'aurais autant eu besoin d'etre un peu moins gros, et surtout plus rapide...
Pendant un instant, je la crois sauvée, la chair de son avant bras contre ma main. Il me faut une eternité pour comprendre qu'elle ne se racrochera pas instinctivement a moi, qu'elle se laissera couler entre mes doigts, son instinct de survie en Stand By. Alors que je saisit son poignet dans un dernier ecaire de lucidité, au risque desormais negligeable de l'accompagner dans sa chute, chaque muscle de mon corps n'a plus d'autre raison d'etre que de la sauver.
Si elle meurt, je n'ai plus de vie. Autant la suivre, et prier pour amortir son atterissage avec mon corps...
Et dire que jusqu'a il y'a 2 secondes, j'avais peur du vide...
Centimetres par centimetres, je parvient a la ramener, au prix d'un miracle physique de chaque seconde. Lorsqu'elle est finalement hors de danger, la douleur, jusqu'alors occultée, se reveille dans chacun des muscles de mon bras. Une vie entiere de canapé et de nourriture grasse est un handicap a l'heroisme...
Lorsque finalement je l'entend sangloter, je baisse mon regard sur son visage. Ses larmes, sur ma chemise, au moins est t'elle vivante. Je l'attire contre moi. A moins qu'on ne m'y force, jamais plus je ne la lacherais.
Ses sanglots redoublent, elle se debat sans conviction, frappe ma poitrine, sans force ni volonté.
-Laisse moi mourir, murmure t'elle doucement. Laisse moi mourir, s'il te plais...
******
Assis au pied de son lit, je prie le Dieu Muet de mon Eglise, esperant les reponses aux questions que je ne pose plus par lassitude. Tant qu'elle dors, elle ne souffre pas, me dit l'infirmiere, tentant de me faire lacher sa main.
Peine perdue. Mes articulations sont blanches, d'avoir trop serré ses doigts, la manche de ma chemise trempée d'avoir sechée ses larmes. Si elle ne souffre plus, elle pleure encore.
Je regarde son visage. Tout en moi aimerais pouvoir la prendre dans mes bras et lui tendre un miroir, lui dire que tout cela n'est qu'un mauvais reve, un cauchemar né de cette nourriture mexicaine qu'elle digere si mal, et qu'elle continue pourtant a aller chercher chaque vendredi soir...
Je croise les doigts. Pour l'instant, la colere m'empeche de sombrer. Les glandes lacrymales me brulent la peau, mais la rage ne coule pas, les pleurs ne noient pas mon desir de hurler...
J'aimerais sortir, et tuer celui qui lui as fait ca. Celui qui par la force lui as pris ce qu'elle aurait donnée par amour a l'homme de ses reves, et qui d'un revers d'acier, l'a marqué a jamais. J'aimerais sortir d'ici, et reparer dans le sang et le genocide le mal qu'on lui a fait.
Malgres la medication, je l'entend gemir dans son sommeil. Les medecins la pensaient stable, ils avaient tort.
Il n'y'a pas 30 minutes, leurs mediocres notions de psychologie et de compassion humaine ont manqué de lui oter definitivement la vie. Si je n'avait pas forcé le barage des infirmiere pour m'assurer de son sommeil, elle aurait sauté, dans l'indifference generale. A 15 secondes pres, je trouvais sa chambre vide et la fenetre ouverte sur un test de Rorschacht morbide, 9 etages plus bas.
Alors qu'elle dors, je ferme les yeux, la premiere fois en 72 heures. Pas un instant ma main ne cesse de serrer la sienne.
*********
Frank me tend une nouvelle canette et je me force a terminer vivement celle en date, sans plus de conviction que pour les 10 dernieres. Je deteste toujours autant la biere, presque plus que le vin, ou le whisky. Jamais je n'arriverais a faire un alcoolique convenable, il faut que je me fasse une raison..
-Non merci. Je crois que j'ai deja trop bu, franchement.
-Prend la quand meme, camarade. C'est moi qui juge ce soir si tu as trop bu ou pas.
Accompagnant un clin d'oeil faussement complice, Frank fait place a la nouvelle tournée. Ou trouverais je la force de discuter de toute facon...Je jete la boite vide a l'autre bout de la rue, et rate la poubelle d'au moins 100 metres.
Languette brisée, le gaz et la tiedeur du liquide devenu familier jusque loin dans la gorge, je ne sent meme plus l'alcool.
Jamais je n'ai autant bu, demain, mon cerveau ne sera plus qu'une eponge de pure douleur. Je ne me rapellais pas detester autant la biere...
Pour la premiere fois en 4 jours, j'ai manqué dormir. Les petites pillules vertes de mon plus vieil ami ont finalement reglées ce probleme. Frank et moi avons scellée artisanalement la fenetre, les medecins refusant de la faire changer de chambre. Ce soir etait la premiere fois depuis 4 jours qu'il en passait la porte, Dieu seul sait ou Franky pouvait avoir trainé...
Jamais je n'ai autant bu. Si je me repete, prevenez moi, je ne me sent pas dans mon etat normal.
Je manque de vomir, et finalement, pour la premiere fois de la soirée, il me souris.
-Je crois que tu commence a etre dans l'etat d'esprit, mon pote...
Il se leve, tente de m'aider a me redesser. Je m'ecroule. La monde s'affole, le manege des sens en marche, j'etouffe dans ma propore bile.
Je suis aveugle, je suis sourd, je ne sent plus mes bras en dessous des coudes. Mes perceptions, deja faussées par l'alcool, je soupconne les pillules vertes d'avoir d'autres effets secondaires.
Alors qu'il s'accroupit, me faisant face, parfaitement hilare, deux eclairs de lumieres reposent entre ses mains.
Quelques secondes sont necessaires pour me confirmer qu'il s'agit de couteaux refletant la lumiere des reverberes environnants, et non pas d'une quelconque autre creation de mon esprit embrumé. Quelques autres secondes sont necessaire pour voir que son sourire, loins d'etre complice, n'est qu'un rictus carnassier.
Malgres le vertige, je parvient a croiser son regard. Il jubile tellement qu'il n'a meme pas besoins de me parler.
Il sait. Il connait les violeurs.
**********
Assis a une table, quelques metres derriere nous vers le fond de la salle, les deux hommes rient de bon coeur, rien ne laissant presager de ce qu'ils sont.
Leur cravate, leur costume, valent plus que tout ce que nous avons pu manger ce mois ci Franky et moi. Mentalement, calmement, j'evalue le prix de leur innocence apparente: Manucure, detartrage et traitement des gencives, coupe de Cheveux Brad Pitt a 40 Euros, bronzage Méditerranée en institut, epilation des sourcilles et de la nuque, musculature grecque, pur produit de samedis entiers passées au Gymnase Club. Meme leur odeur corporelle est etudiée par un specialiste diplomé pour ne pas gener leur promotion sociale. Une forme physique telle que la reve les Calvinistes de confession Klein. A 4 tables de moi, je sent leur parfum de tilleul fraichement ramassé du matin, ou tout du moins son ersatz artificiel, vendu 35 Euros le flacon.
Bon Dieu, ils mangent meme vegetarien...En d'autres circonstances, j'en rirais presque
-Comment a tu su que c'etait eux ?
-L'ami d'un ami d'un ami...
Ricanement complice. Frank n'en dira pas plus, quoi que je fasse.
-C'est eux...
-Ouais, ricane t'il, la main dans la doublure de sa veste.
-Je sais que c'est eux, pourtant j'ai aucune preuve...
-Ca m'a fait ca aussi, mon pote. Appelle ca la justice.
-Plutot l'instinct...
-La Justice est l'Instinct de la loi, mon pote, ironise t'il en me tendant une des lames. Face a un criminel, une victime ressent ca, c'est dans la nature des choses. Un peu comme les moutons sentent la presence du loup...
Alors que les deux hommes se levent, et sortent du restaurant, nous quittons le comptoir, lachant quelques pieces.
La traque peux commencer.
*********
Tant de choses m'ont eté enseignées a l'ecole, au lycée, en fac, et aucune ne m'a jamais eté vraiment utile lorsque j'y pense. J'ai cinq milles ans de royauté et de politique dans la tete, et je sais placer sur un planisphere des pays dont le quota laitier pour l'année 1965 etait superieur a celui de la Bolivie. Je connais la racine carré de 1 Million, je connais le nom de ce poete qui parla le premier de crystalisation des Sentiments. Alors que ma lame s'enfonce en pleine poitrine de cet homme, dont les mains se crispent en vain sur mes epaules, j'ignore tout de la raison qui l'empeche de crier, se limitant a ce grotesque gargouillis agitant ses levres. Ses yeux se revulsent, finalement, du sang coule dei sa bouche, et il tombe.
Il semble surpris d'etre mort. Moi aussi.
Celui dont Franky s'est deja occupé git au sol, le sang trempant tout le coté gauche de son manteau. Mon vieil ami s'approche, et me prenant le couteau des mains, me tape sur l'epaule.
-Joli. La lame en plein coeur, c'est bien joué.
-Pourquoi n'as t'il pas crié ? demande-je, finalement.
-Hemoragie interne. Le sang empli la gorge, les poumons. Il se noie en 1 seconde dans son propre sang, arrive plus a crier. Tres joli coup, vraiment, tu es doué.
Alors que je le vois essuyer le metal dans l'interieur de sa veste, puis ranger les lames dans une poche secrete, quelques centimetres plus haut, la part vicerale de mon corps se reveille, et me ramenant a la realité, me fait tomber sur les genoux, a quelques centimetres a peine du corps.
Dans un hurlement de gorge, a peine etouffé par les sucs gastriques,je vomi la biere de ces quelques heures, tremblant de tout mon corps...
Corps mort et corps tremblant. Mon cerveau s'emballe, le monde tourne autour de moi, je ferme les yeux...
Lorsque je releve la tete, les morts ont disparus. Croisant mon regard etonné, Frank me designe une poubelle sur la gauche, dont le couvercle cache mal la recente surcharge.
-On a tués des Hommes, Frank...
-Ouais. Tu regrette ?
Durant un court instant je ne sais quoi repondre. Mes intestins sont pris de spasmes, je vais encore vomir.
-Non, parvient je a articuler entre deux relents d'acide. Non, on a rendu Justice.
Alors que je suis a genou, le regard sur le bitume, j'entend Franklin Benes eclater d'un rire froid sur ma gauche, glacial comme je ne lui en connaissait pas.
-Je crois que t'as tout compris mon pote...Je crois que t'as tout compris.
Cette nuit là, pour la premiere fois en 5 jours, je dormais enfin. Un sommeil reparateur, profond, sans reve ni mouvements. Le matin, je passait voir Cassandra, qui fit semblant de dormir jusqu'a apres mon depart, ne sachant quoi me dire...Frank, je ne sais comment, s'occupa des corps, on ne les retrouva pas.
Peu de temps apres, je me retrouverais de nouveau un couteau a la main, et tuerait de nouveau, cette fois avec beaucoup plus de facilité. Mais cela est une autre histoire...