Par Sunder
Malgres sa peau Bleue, et du haut de ses 9 ans, Kurt Wagner s'est toujours vu comme un enfant normal, simplement frappé d'une deformation physique rare, comme Anna, la Femme a Barbe, ou Johann, le cyclope humain, ses amis du chapiteau aux Monstres. Il n'en a jamais voulu a sa mere naturelle de l'avoir abandonné devant le cirque itinérant Von Kueller, avec pour seul bagage une Bible,, car il est heureux au coté de Magdalena Wagner, qui l'a recueilli et elevée.
Kurt est heureux d'avoir une appendice caudale , heureux de faire crier de joie les foules par ses acrobaties, sous le chapiteau centrale, heureux de sauter plus haut que tout etre humain n'en fut jamais capable a sa connaissance, de tout cela il remercie le ciel chaque matin, a chaque occasion. Le Diablotin du Cirque est satisfait de sa vie, insouciant de son avenir, qu'il reve immuable, sous les hurlements de la foule et dans la chaleur d'un foyer.
Sa mere, bohemienne et tireuse de carte, lui a pourtant predit un destin rare, futur champion d'une cause juste, a laquelle il apportera sa droiture naturelle, son courage, sa bonté d'ame...
De tout cela il se moque. Sa vie sera au cirque. Pourquoi chercher ailleurs alors que le bonheur de son univers lui suffit amplement ?
Oui, Kurt est un garconnet rayonnant de bonheur, et le cirque est sa famille, telle est sa vie. Simple. Toute tracée.
Ce matin là, a quelques distances du camps, lui et sa soeur Jalna courent a en perdre haleine, lui a 4 pattes, s'arretant parfois pour la laisser le rejoindre, elle sur ses talons, cherchant a le rattraper.
Personne ne les poursuit, tout cela n'est qu'un jeu, ils rient tout deux sans retenues...S'ils ne partagent le meme sang, ils sont tous deux du meme coeur, et Jalna l'aime et le protege comme s'il etait de sa chair...
La jeune fille, deja agée de 14 ans, s'arrete subitement derriere lui, mais il n'en a que faire. L'excitation de la course est pour lui aussi ennivrante que celle des applaudissements, et l'odeur des champs si agreable...
Peut etre est ce pour ca qu'il ne voit pas le groupe d'hommes avancer vers lui, et rapidement l'intercepter, fusils sur l'epaule. Lorsqu'ils se figent sur son chemin, il s'arrete, souriant, sans plus d'inquietude que sa nature ne lui ordonne.
Le premier d'entre eux, pointant le canon de l'arme dans sa direction, ne le quitte pas des yeux, une expression sur le visage que le jeune bohemien n'a jamais connu.
La peur...La Haine ? Comment peuvent t'ils le hair alors qu'ils ne le connaissent pas ?
-J'vous avais bien dit avoir vu un truc bizarre, les mecs...
-Merde, Gunter, qu'est ce que c'est que ca ?
-J'en sais rien, mais ca a pas une tronche comme j'aime en voir...
-Arretez ! La voix de Jalna, courant vers eux.
Kurt, se relevant, souris aux individus, leur offrant sa plus belle courbette de scene. Subitement, l'animal devient humain.
-Je suis Kurt Wagner, dit le Diablotin.
Alors que sa soeur le rejoint, et le prend dans ses bras, tremblante pour sa securité, aucun des homme ne baisse son arme.
-Attend, s'etonne le plus grand, tu veux dire que ce truc est humain ?
-C'est mon frere, lance la jeune fille, le regard au sol.
-c'est quoi ce qu'il a sur le dos, ton "frere"...Vous etes du cirque, c'est ca ? C'est un costume ?
-Regarde sa queue Gunter...ca bouge, c'est a lui, c'est attaché a lui putain...
-C'est un monstre, grogna celui qu'ils appelaient Willem.
-Il est atteint d'une maladie genetique rare, balbutia Jalna, sans conviction. Une excuse ancienne, qui marchait de moins en moins avec l'age...Rares en effet sont les maladies genetiques a rendre plus fort et plus agile ceux qui en sont atteins...
-J'ai jamais entendu parler de maladies qui ressemblait a ca, lanca celui qui semblait etre le chef. Il fait parti du chapiteau de monstres,non ?
Kurt, cette fois ne tint pas sa langue.
-Je suis acrobate, le meilleur de toute l'Allemagne!
De nouveau, le regard de Gunter se porta sur l'enfant, avant de revenir sur l'adolescente.
-Dit a ton frangin de pas trop causer, petite fille... Ca pourrait finir par lui couter cher.
Alors que la main de sa soeur se crispe dans la sienne, l'attention de Kurt s'egare sur elle, et pour la premiere fois depuis longtemps, il sus qu'elle avait peur ...Une Terreur qu'il ne lui connaissait pas, et pour tout dire, qu'il commencait a ressentir
Non, ces hommes n'etaient pas tres amicaux...Pas assez en tout cas pour rester dans leur sillage, a portée de fusil.
-Jalna...On y va ? On rentre au campement ? Magda va s'inquieter...
La jeune fille acquiesca, et ne quittant pas des yeux les 3 hommes, commenca a s'eloigner a reculons, doucement, lentement , son frere a ses cotés...
Au bout de 10 metres, tous deux sans un regard en arriere se mirent a courir...
Reprenant leur marche vers le village, les 3 hommes echangerent un sourire, aux prises avec les memes pensées...
-Drole de gosses, osa le premier.
-Des Bohemiens, ricana Willem...Jeune, mais mignonne...
-Ouais, repondis celui ci... J'crois qu'on va aller au cirque, l'un de ces soirs...
Tous deux se regarderent, et eclaterent d'un rire froid, obscène.
Deux metres derriere eux, le regard de Gunter resta sur les deux enfants, qu'il suivit mentalement jusqu'a la foret.
Un regard que beaucoup n'auraient pas trouvés digne d'un etre humain.
*****
Le repas fut frugale, comme souvent depuis quelques semaines helas, les finances du cirques n'etant pas au beau fixe depuis leur retour d'Autriche...Neanmoins Kurt ne souffrait jamais de la faim, Jalna lui abandonnant souvent une part de son assiette, le sourire aux levres...
Recroquevillé a ses coté, partageant le meme lit comme ils le faisait souvent par temps de pluie, le diablotin regardait sa soeur dormir, si paisible, toujours l'air pensive, malgres le sommeil. Jalna la Philosophe, comme aimait a l'appeler Johan...
Alors que lui etait un acrobate, entrainé en cela par le maitre Dieter Jager, Jalna s'etait quand a elle tournée vers le boniment, art dans lequel elle excellait. Jamais il n'avait vu les foules l'admirer autant, rire autant a ses cabrioles, ou hurler a ses acrobaties, que quand c'etait Jalna qui presentait son arrivée aux spectateurs. Jalna maniait le verbe, l'humour, l'esprit, avec la meme aisance que lui meme faisait de son corps...Leur association etait l'un des meilleurs numero actuel, et tout le monde leur savait un avenir brillant.
Fermant doucement les yeux contre son epaule, rassuré par le contacte de celle qui le connaissait mieux que lui meme, Kurt se laisse entrainer vers le monde de ses reves, le grand Chapiteau de son esprit, et sombre dans le sommeil.
********
Pendant ce temps, en ville, Gunter Schultz, Willem Stoph et Gerhard Honecker fetaient dignement leur journée de chasse autour d'une biere...
-Je bois a la santé de ce Sanglier, mes amis ! La chasse a eté bonne, on a bien merité d'etre ici a feter ca !
Discours sobre, auraient pu penser tout autre que ses deux acolytes, mais Gunter, adjoint du maire, n'etait pas vraiment aimé pour ses longues tirades, en general. Au contraire, moins celui ci parlait, plus vite l'alcool etait porté aux levres...
Apres une premiere rasade, ce fut Willem qui repris finalement la parole.
-Il etait bizarre ce gosse, quand meme...
-Arrete, lanca Gerhard, ne me dit pas que tu pense encore a ce bestiaux de foire... C'est qu'un putain de monstre, on va pas en faire toute une histoire...
-Willem a raison, intervint d'une voix sourde Gunter. Ce gosse etait pas normal, meme pour un monstre... J'en ai vu des cirques de phenomenes quand je bossait a la ville, et j'ai jamais vu un truc comme ca.
-T'y crois a son truc de maladie genetique ? J'veux dire, J'suis d'accord avec Gerhard, que ca nous regarde pas, mais t'as vu ses mains ? Ses pieds, sa Queue ?
-Tu veux qu'j'te dise c'que j'pense, Willem ? J'pense que c'est pas humain ce truc. Pas comme le Bon Dieu l'a voulu en tout cas.
-Tu pense a un animal, une sorte de singe super bien dressé ?
-Et il aurait parlé , ton singe ? cracha Willem, en meme temps qu'une part non negligeable de sa biere.
-P'tete que la gosse etait ventriloque, et qu'elle nous a fait marcher...
-C't'etait pas un singe, ce truc Gerhard, tu l'sais aussi bien que moi...
-Alors c'etait quoi, selon toi, M'sieur le Singologiste ?
-J'sais pas, franchement j'sais pas... mais tout j'que j'suis sur, c'est que c'est un truc de bohemien... Et l'Bon Dieu sait c'que ca peut bien magouiller, un bohemien...
-Tu veux dire...D'la magie noire ? des trucs Vaudou ?
-Pt'ete bien, Willem... Faudra pt'ete voir a surveiller le coin, tant qu'ils s'ront là...
-Pt'tetre aussi surveiller la gosse, qui sais, hein Gunter ?...On sais jamais, p'tete que c'est une sorciere, un truc de ce genre...
-Ouais, Gerhard , acquiesca l'homme, apres une derniere gorgée. J'la surveillerait bien quelques heures, cette saleté de voleuse de poule. Une surveillance en profondeur, j'lui ferait...
De nouveau un eclat de rire...
Le bonheur d'une soirée arrosée entre copains.
En bordure de la foret, a quelques kilometres de là, un enfant se serre contre sa soeur, en proie a une soudaine inquietude...
******
-Demain, nous sommes a 150Km d'ici, mon petit Kurt... Ne t'inquiete pas, Joshua comme moi n'aimont pas plus que toi ce village, notre representation faite, nous partons sans regrets...
-Ce matin, j'ai vu les 3 hommes d'hier trainer pres des caravanes, Dieter...
-Cela est souvent comme ca a l'approche de l'automne, aussi loin dans les anciennes terres... Les gens s'ennuient, le froid approche... Ne t''inquiete pas, Diablotin...Dans moins de 3 semaines, nous sommes a Berlin, le cirque s'installe pour l'hiver, tout sera plus simple là bas...
Kurt acquiesca peu convaincu mais legerement rassuré, pret a s'exercer sous l'oeil attentif de son ami. Le regard fixé sur le planisphere, au mur de sa roulotte, il se laissa pourtant aller a rever. Lorsque Dieter s'en appercu, le vieil homme ne pu s'empecher de sourire.
-Alors, mon petit Diable, quelle partie du monde reve tu secretement d'émerveiller avec tes bondissements ?
-Tu as deja eté en Amerique, Dieter ?
Pendant une seconde, l'acrobate semble reflechir, mais fini neanmoins par repondre, un sourire aux levres.
-Une fois, oui. Pendant 5 mois, j'ai suivit le Cirque de l'Armée Rouge a travers les Etats Unis.
-C'etait comment ?
-Trop grand, Diablotin... Meme pour nous autres, trapezistes, leur monde n'est pas a la mesure de l'homme...Leurs villes grimpent vers le haut, et cachent le soleil...Et lorsque enfin, certaines s'abaissent pour nous le laisser voir, il nous brule la peau...New York, Washington, Las Vegas, Los Angeles... Et puis leur langue, l'anglais...
-Tu n'as pas aimé ?
-J'ai eté heureux de rentrer en Allemagne, je ne le cacherais pas.Neanmoins c'est un voyage a faire une fois dans sa vie.
-Tu as vu leur statue de la Liberté ?
-Oui...Comme toute les femmes de la creation, belle a couper le souffle...la grandeur en plus.
-J'irait peut etre la voir, un de ces jours...
-Peut etre Diablotin. Qui sait ou t'entrainera le destin...
-Tu parles comme Magda, Dieter...
-Ne te moque pas, ta mere connait mieux l'avenir que moi le present, Kurt... Ses pouvoirs sont etonnants, ne doute jamais de ce qu'elle promet.
-Elle dit que je vais quitter le cirque...
-Alors crois là, Diablotin... Je suis sure moi aussi qu'une grande destinée t'attend, plus grande que celle de beaucoup de gens...
-et si je n'ai pas envie ?
-Tu parle avec l'esprit de ton jeune age, Kurt... Qui peux dire ce que tu pensera, d'ici 10 ans...
-Le seminaire, peut etre...Etre Pretre...Servir mon Dieu...
-Il faudra te repeindre en rose, mais pourquoi pas ?
-Là, tu parle VRAIMENT comme Magda, Dieter...
Sourire, de leur deux parts...Une vie de connivence entre eux deux... Le mentor et son disciple... Luke et Obiwan, comme aime a plaisanter Jalna...
Le pere de Jalna est mort peu apres la naissance de sa fille, Kurt n'a jamais connu Christoff Wagner, dont il porte le nom, autrement que dans les histoire de Dieter, qui fut son meilleur ami. Meme s'il ne partage pas la couche de Magda, l'acrobate est leur conseiller, leur ami, leur confident...tant de choses...
Pendant quelques minutes, le silence s'installe, alors que Kurt, suspendu par la queue, s'efforce de ne pas s'effondrer. Muscler son appendice, telle est la mission que lui et son mentor se sont proposés. En faire un membre tout aussi fiable que ses bras, ou que ses jambes...Mission difficile, pense t'il interieurement, mais decevoir Dieter n'est pas une option qu'il aime a s'accorder.
Tout a sa concentration, son ouie est celle d'un animal, le camps n'a plus de secret pour lui...
Il entend Gregor et Wolfgang, parler des anciennes villes, recemment traversées...
Il entend Johann & Joshua, son frere, parler des recettes, de l'espoirs qu'ils ont pour le spectacle de ce soir...
Des oiseaux, dans la foret... La cloche du village, plus loin qu'il n'aurait cru sonner...
Entendant jusqu'au coeur de Kira battre, a l'entrée de sa caravane, Kurt sourit, heureux de savoir son monde en paix...
Hors sa mere, envoyée preparer l'arrivée du Cirque dans le village prochain, aux cotés de Hans, seul Gretchen et Jalna manquent a l'appel, trop loin pour etre entendus, parties au village...
Tout du moins crois t'il...
Jusqu'au coup de feu, et au hurlement qui le suit...
Immediatement, Kurt , plus vite que n'importe quel homme du camps, se precipite vers la foret, courant comme jamais il ne s'en etait cru capable jusqu'a present...
**********
Yulrik a toujours eté un bon chien, malgres l'age venant, fidele a sa maitresse, et meme la vue baissante, toujours a ses cotés. Lorsque la balle lui arracha la patte, la souffrance gagnant son petit corps fut telle qu'il ne parvint meme pas a gemir de douleur. En bon chien qu'il etait, Yulrik est mort entre les bras de celle qui l'eleva depuis sa plus jeune enfance, Gretchen Von Reystner, lui lechant la main malgres la souffrance, son ultime acte de devotion avant l'obscurité.
Face aux 3 chasseurs de la veille, Jalna est debout, les yeux brillants de larmes et de colere...
-Vous l'avez tués...
Le regard de Gunter se fit sauvage dans celui de l'enfant, et son fusil se pointa vers elle, doucement...
-Accident de chasse, desolé... Ton chien ressemblait trop a un faisan, on s'est trompé.
Ricanement de ses compagnons, le chasseur cache mal son envie de sourire...
-Et puis de toute facon il etait vieux ton chien, ricana Gerhard, entre deux hochets...On lui a rendu service, tu devrait nous remercier...
-Ouais, rajouta le 3eme, Remercie nous...
-Vous etes des ordures...
Rejoignant Grentchen toujours en pleurs aupres de son compagnon mort, Jalna ne manque pas d'entendre un fusil s'armer, dans son dos, et la voix de Gunter, le chef du Trio, s'elever derriere elle...
-Tu vient de me traiter d'"Ordure", bohemienne ? Qui est tu pour me traiter d'ordure, petite putain ?
-Ca m'aurais pas plus a ta place, Gunter...
-T'as raison Willem... Ca me plait pas. Excuse toi tout de suite, gitane...
-Jamais.
Un nouveau fusil fut epaulé, cette fois vers Gretchen, qui cessa de pleurer, dans un hoquet d'horreur...
-Excuse toi aupres de Gunter, sale Gitane, ou je confond ta grosse copine avec un sanglier, et personne me condamnera...
Pendant une seconde, Jalna promena son regard sur les chasseurs, et vit ce qu'elle craignait de voir...cette determination propre aux imbeciles, aurait dit Johann, lorsqu'ils sont sous le conseil de l'alcool...
Baissant de nouveau les yeux, la rage pulsant dans sa gorge, elle oublie son honneur pendant quelques courtes secondes...
-Ex...Excusez moi...
-Pardon, Willem et moi, on a pas entendus, petite catin... Tu as dis quoi ?
Pour la premiere fois depuis une minute, Jalna releve les yeux, s'efforcant de cacher sa haine, de ne pas croiser leurs regards.
Derriere ses deux compagnons, le troisieme chasseur ne lui semble pas a l'aise, peut etre est t'il en desaccord avec ses deux compagnons...Malgres cela, il ne detourne pas son arme pour autant...
-J'ai dit, excusez moi...Je vous prie de m'excuser...
Gunter, baissant son arme, laissa tomber un crachat aux pieds de l'enfant, et ricana.
-Ben tu vois, quand tu veux Bohemienne... C'est facile d'etre polie.
Jalma ferme les yeux lorsque celui ci avance une main vers elle, caressant son visage. Elle reste de marbre lorsque son doigt s'egare sur ses levres, et que sa voix se fait de nouveau entendre...
-Tu es jolie bohemienne... Peut etre qu'on pourra faire quelques chose de toi quand tu aura appris les bonnes manieres...
Toute a sa colere, tremblante de rage, elle ne bouge pas, priant pour qu'il ne la touche plus, qu'il arrete.
Un instant, le visage du chasseur se rapproche d'elle. Ce qu'il lui murmure, dans l'intimité de son oreille, elle ne l'oubliera jamais...
Finalement, sa main se detache d'elle, et elle l'entend partir.
Elle rouvre enfin les yeux.
Alors que les hommes s'eloignent, leurs rires lui dechirent l'ame...
Elle n'entend pas Gretchen recommencer a pleurer, ni meme appeler son nom...
Elle n'entend pas son frere courir a travers la foret, ni meme approcher, ne sent pas sa main se poser sur son epaule...
Lorsqu'il l'encercle de ses bras, lorsqu'elle se sait en securité, Jalna se laisse finalement aller a sangloter...
Et s'ecroule au sol, malgres les bras de son frere...
Jalna en larmes entre ses bras, Kurt Wagner regarde aux loin les 3 hommes qui s'eloignent, a travers champs...
Pour la premiere fois peut etre, comprend t'il la mefiance de ses maitres envers le monde exterieur, alors que les larmes de celle qu'il aime imbibent sa veste de scene...
-Ils payerons, Jalna... Ils payerons...
Alors que les sanglots de la jeune fille redoublent, il l'abandonne quelques instants, et tourne son attention vers Gretchen, dont le regard est maintenant perdu dans le vide, le cadavre de son chien entre les bras...
-Ils payerons pour ca... Je le promet.
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Le spectacle de ce soir fut annulé sans autres formes d'explication, Johan remboursa les places, et decida du depart de la troupe des le lendemain matin, le plus tot possible. Comme de bien entendu, personne ne porta plainte... Des forains, un chien mort, des notables de la ville et une police a n'en pas douter de parti pris... Par securité neanmoins, Rainer et Gregor s'etaient portés volontaires pour faire la garde pendant la nuit, juste au cas ou...
Cette nuit là, Jalna dormi d'un sommeil cauchemardesque, malgres la presence de son frere a ses cotés... Non pas un monde de Demons, de monstres, de creatures horribles, mais un monde de villageois, de fusils, de mains brulantes sur son visage, sur ses levres....
Lorsqu'elle se reveilla en sueur, la lune, deja haute, eclairait cette part de la caravane qu'elle et Kurt partageaient. Au bord des larmes, elle chercha son contact rassurant, quelqu'un pour la proteger...
Sauf que Kurt n'etait plus là.
Terrifiée, elle le chercha du regard, meme si sachant pertinemment ou son frere risquait de se trouver.
Elle sauta du lit, et commenca immediatement a s'habiller. Johann saurait quoi faire.
-Kurt...Ils vont te tuer...
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Gerhard Honecker etait fier de ses talents de chasseur, et de sa collection d'arme anciennes... Celibataire endurci, Gerhard etait employé des postes au village, certes pas le plus zelé, mais dont la paie confortable lui assurait un niveau de vie agreable, tant soit peu qu'il ne s'encombre pas d'enfants, ou d'epouse a entretenir...
Oui, veritablement, egoistement, Gerhard etait un homme heureux. Sa vie lui convenait... Ses armes, ses amis, ses virées au pub...
Lorsqu'un bruit a l'etage lui fit ouvrir les yeux, le premier geste de Gerhard fut de chercher son arme a taton, le temps que sa vision se fasse a l'obscurité.
Il ne la trouva pas.
Soudain, le bruit cessa, et apres s'etre emparé de la seule arme a sa disposition, une lampe de chevet, il descendit prudemment a l'etage, pour se retrouver dans son salon.
Lorsqu'il decouvrit sa collection d'armes volée, ses murs nues, une vie entiere d'investissement disparut, Gerhard tomba a genou, et fondit en larme...
Face au vide soudain de sa vie, tant d'années de collection, Gerhard pleura jusqu'au matin tel un enfant...
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Willem Stoph ne dormait pas, comme souvent malgres l'heure tardive de la nuit. Insomnie chronique, un mal de longue date, presque l'adolescence... Ancien policier, il herita de son pere cette maison, de meme qu'un petit pecule, soigneusement mis a la banque...De quoi vivre tranquillement jusqu'a la fin de ses jours, en plus de sa maigre paie de contremaitre a l'usine, 15 Km au sud du village...
Passionné de chasse , comme ses amis Gunter et Gerhard, il ne possedait guere qu'un fusil, toujours la meme arme, là, sur le mur...
Finalement, le sommeil venant et aucun programme ne retenant son attention, Willem va pour se coucher.
Machinalement, il regarde par la fenetre, et voit sa voiture, garée a sa place, comme il le fait chaque soir. Sa femme, endormie depuis longtemps, ne se reveille qu'a peine lorsqu'il se couche a ses cotés, et l'embrasse tendrement. Peut etre est t'il vraiment un salaud, se demande t'il parfois dans ses instants de lucidité, mais il aime sa femme, et il aime l'enfant qu'elle porte, cet enfant qu'ils ont tous les deux tant desirés...
Le lendemain matin, decouvrant l'interieur de sa voiture remplie des ordures du voisinage, il hurlera de rage...
Apres 3 heures de nettoyage sous les regards amusés de ses voisins, a leurs fenetres, peut etre a t'il finalement la reponse a sa question... Peut etre se sent t'il finalement tres seul, aussi, quelques part...
La premiere etape vers la redemption.
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Lorsque Kurt penetre par effraction chez Gunter, il ne s'etonne pas vraiment de le decouvrir eveillé, c'etait une chose qu'il avait prevu.
Toutes lumieres allumées, l'homme est dans son fauteuil, semble t'il plongé dans la lecture du journal, posé sur ses genoux.
Neanmoins, quelques chose cloche, le Diablotin en est sure... L'homme ne bouge pas. Sa main, tombée du fauteuil, aurait pu signifier un endormissement, si seulement il l'entendait respirer legerement plus fort. Si seulement il l'entendait respirer.
Ne sachant que faire, Kurt s'avance...l'homme ne bouge toujours pas.
Encore quelques pas... Et Kurt entre dans le champs de vision de Gunter Schultz.
Qui ne reagit pas, le regard revulsé, ouvert sur son plafond.
Il ne bouge pas.
L'odeur de mort deja presente...
Pris de panique, Kurt ne sait quoi faire. Il donnerait n'importe quoi pour etre ailleurs. Fermant les yeux, il supplie le Ciel de faire quelques chose, le laisser rejoindre Magda, Jalna, Dieter, sa famille...
...Et les rouvrent au campement, a quelques metres de Johann et de sa soeur.
Qu'importe comment il est arrivé ici. Son premier acte est de se jeter a leur cou, et de tomber en larmes...
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Assis face a Johann, tremblant encore dans les bras de sa soeur, Kurt regarde le sol.
-C'etait une vraie connerie, tu t'en rend bien compte...
-Oui...
-Merde, Kurt... Ces mecs auraient pu chercher a te tuer, s'ils t'avaient vus...
-Tu ne dira rien a Magda et Dieter, n'est ce pas ?
Pendant une seconde, le regard du Cyclope humain se perd dans celui de Jalna. Sans un seul mot, elle acquiesce...
...et sort de la caravane.
Ne reste que Johann et Kurt, alors que le silence manque de s'installer.
-Kurt...bien sure que je dirait rien a ta mere, tu le sais...Mais il faut que tu comprenne...
-...Il est mort, Johann... Je voulais le voir mourir, et il est mort...
-Ecoute, gamin... A ce que tu m'en as dit, j'imagine que ce mec a fait un arret cardiaque, t'y est pour rien....c'est un putain de hasard...
-Je voulais sa mort, Johann....Dieu me pardonne, je l'ai meme souhaité...
Silence...
-Kurt...Tu crois vraiment avoir tué ce mec ? Qu'est ce qu'il s'est passé là bas pour que tu te soit mis ca dans la tete ?
Silence...
-J...J'ai disparu, Johann... Pendant une seconde, j'etait là, face a lui, a le regarder, et la seconde d'apres, j'etait au camps, avec vous...Si je suis capable de ca, pourquoi n'aurais je pas pu le tuer ?
-Arrete, Diablotin...
-J'ai disparu, Johann, continua Kurt, sans laisser le temps a son ami de dire quoi que ce soit, des sanglots terrifiés dans la voix...J'ai fermé les yeux, senti comme un tremblement, une odeur de souffre, et j'etait devant vous. Qu'est ce que je suis, Johann ? Est ce que je suis un demon ?
Cette fois, Kurt Wagner pleure , pleure comme il ne l'as jamais fait jusqu'a present...
Pendant quelques secondes, Kurt goute au desespoir, jusqu'a ce qu'une voix, familiere, ne l'en tire par sa chaleur...
-Non Kurt, pas un demon...tout sauf un demon...
Alors qu'il releve la tete, l'enfant voit rentrer son mentor, et tourne son regard vers Johann
-Tu avait promis de ne pas lui dire !!!
-C'est moi qui lui ai demandé de venir, Kurt, avoue Jalna, suivant de peu le vieil homme.
Alors qu'elle le rejoint, et s'assoit a ses cotés, Johann ferme la porte de la roulotte, laissant au vieil acrobate le temps de s'asseoire, presque souriant.
-J'ai gardé cette histoire pour moi trop longtemps Kurt...Une histoire...du passé.
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Comme souvent, Dieter Jager aimait a faire durer le suspense dans ses recits...
Cette fois ci, il commenca par relever sa manche, revelant un nombre, inscrit sur son avant bras.
Johann, fermant son oeil unique, secoue tristement la tete, connaissant la signification de cet etrange tatouage...
-J'avais 7 ans quand les demons qui hantent mes cauchemars m'ont imposé ce chiffre sur le bras, Kurt. Ton pere, Jalna, en avait un presque identique.
-J'ignorait que mon pere avait eté...
-Comme nombre de Gitans, ma petite fille, ricana le vieille homme...Une grande part du cirque Zephiro y abandonna la vie , de meme que les clans Szekelei et Calderash, dont il ne reste aujourd'hui que le souvenir de quelques vieux hommes tels que moi... Ton pere et moi etions dans un camps, dans l'Est du Pays, en ce temps là, a attendre de rejoindre nos famille, par delà la mort... Jusqu'a ce jour de Novembre 1943, ou il pu nous permettre de nous enfuir...
-Qui ca ? demanda Jalna
Le vieil homme ricana de nouveau, entre chagrin et souvenir, du plus profond de sa memoire...
-Je n'ai jamais connu son nom, helas. Ce soir là il permis a beaucoup d'entre nous de s'echapper, c'est tout ce que je peux dire de lui. Je le revoit encore comme si c'etait hier, l'expression d'horreur de nos gardiens lorsqu'il echappa au sol, et retourna leurs balles contre eux.... D'une pensée, il arracha les grilles du camps, et nous ordonna de courir, alors qu'il retournait se battre, les occuper le temps necessaire a notre fuite. Christoff et moi, nous trouvames refuge la premiere nuit dans une foret , au nord du camps, ou ils ne nous chercherent jamais. Nous passames la semaine qui suivit a courir de nuit a travers champs et forets, le jour a dormir et nous cacher ou nous pouvions le faire...Finalement, nous fûmes decouvert un soir par un brave homme, Heinrich, alors que nous volions des pommes dans son jardin. Aidé d'un pretre du pays et d'un cousin soldat, il nous fit passer en Suisse, ou nous vecumes jusqu'a la fin de la Guerre, cachés dans un couvent.
Le vieil homme s'arreta de parler, personne n'osant rompre le silence...Finalement, devant l'assurance d'un tel auditoire, il repris son histoire, essuyant ses larmes.
-J'ai passer ces années en Suisse a essayer de comprendre ce que j'avais vu, Kurt, s'il n'y'avais eu ton pere, Jalna, j'aurais meme fini par croire avoir rever notre sauveur...Et puis finalement, la guerre finie, nous avons rejoint le cirque Von Krueller, Manheim, le pere de Joshua et Johann, se souvenant de nos deux familles respectives.
Encore une fois une nouvelle pose, alors que par la fenetre pointe Gregor , cherchant a savoir si tout allait bien. D'un meme geste Johann et le vieil homme le rassurerent.
-Le Cirque, mes amis...le monde des forains...Un univers ou se retrouvent ceux que le monde classique rejete, Monstres bien sure, a l'image de notre ami a un oeil ici present, mais aussi orphelins, fugitifs, associaux, qui y decouvrent parfois leur place...Et gens de ton espece aussi, Kurt, j'allait le decouvrir avec le temps...
-Des gens de son espece, tu veux dire des gens qui lui ressemblent ? demanda Jalna...
-Des gens capable de prodiges, Jalna, des gens comme ton frere et mon ancien sauveur, plus fort, plus rapide, et tant de choses encore... En France, vit un cracheur de feu, Ernest Grangier, qui n'a aucun besoin de petrole ni de torche...A Moscou, existe un equilibriste du nom de Vladimir Korsky qui pourrait tenir en l'air, meme si son fil venait a casser...A Berlin cet hiver, mes enfants, je vous ferait rencontrer mon ami Otto, un de tes freres Kurt, lanceur de couteau de genie, qui ne rate jamais sa cible...Tu rencontrera aussi Zora, l'hypnotiseuse, ou Walter, autoproclamé Yeti humain, capable de soulever un elephant...Nous ne te l'avons jamais dit, a toi ou a ta mere, mais bien avant que tu ne sache marcher, Kurt, Johan, Joshua et moi, savions deja exactement ce que tu etait.
-On appelle les gens comme toi des mutants, continua le cyclope a son tour...J'ai lu des articles sur le sujet, un americain, Bolivar Trask, défend cette theorie depuis le millieu des années 70. L'Homo Superior, comme il vous appellent...Une race déviante de l'humanité, avec des pouvoirs etranges, comme dans mes bouquins de SF, tu vois ce que je veux dire, Kurt...
-Je suis un Mutant, murmura l'enfant...
-Tu vois, tu n'est pas un demon, lui murmura sa soeur, l'enlacant de ses bras, le bercant doucement. Tu est simplement un monstre, comme Anna, comme Johan, comme Albert...Un monstre un petit peu plus original que la moyenne, c'est tout, s'amusa t'elle, posant un baiser sur son front.
Ne pleurant plus, Kurt ferma les yeux.
Un mutant...
-Dieter...Cet homme est mort...Peut etre que c'est mon "Pouvoir etrange"qui...
-Je ne croit pas, ricana son vieux mentor...
De sa poche, le vieil homme sorti une petite boite de pilules, qu'il posa sur la table.
Digitaline.
-Gunter Schultz avait des problemes de coeur, Diablotin... je ne vais pas rentrer dans les details, mais lorsque j'ai echangé ses pillules, il y'a 3 heures, je ne pensait pas une seconde que tu irait chez lui apres moi, encore moins que tu le decouvrirait mort, j'en suis desolé...
- Pour Willem Stoph, c'est moi qui m'en suis occupé, ricana Johann...
-Quand a Mr Honecker, assura dieter, au moment de sortir, je suis sure que les quelques objets de collection que j'ai decouvert chez lui assureront a Yulrik de jolies funerailles, et a notre cirque quelques semaines de provisions. Une vengeance de Gitans, Diablotin.
Le suivant de peu, Johann se retourne sur le jeune garcon, tout sourire.
-On protege les notres, Kurt. Les Gens de notre monde ont leur propre conception de la justice, tu es en age de comprendre, maintenant...
Incredule, Kurt porte son regard sur Jalna, qu'il decouvrit souriante.
Elle savait..
**************
6 semaines ont passés.
Berlin Ouest, un campement a 9Km de la ville. Plus de 700 familles, Tziganes, Forains ou Gens du cirque, reunis pour l'hivers, avant de reprendre la route, dés Fevrier naissant...
Dehors, il fait froid, il pleut...
Dedans, il ecoute Jalna dormir...
Kurt Wagner a 9 ans, son monde n'est desormais plus aussi simple qu'il ne l'avait cru...Son mentor est un tueur, ses amis aussi, peut etre... Quand a lui, est t'il meilleur ou pire qu'eux ? Il est un mutant, la race naissante destinée a supplanter l'Homo Sapiens, un jour ou l'autre, sur la surface de la terre...
L'Homme, l'elu de Dieu...Uniquement l'Homo Sapiens, ou l'Homo Superior, egalement ? Là se trouve le débat a venir, meme si la lecture de sa Bible lui souffle deja la reponse....
Petit a petit, avec l'aide de Johann et de Dieter, il apprend a comprendre son etrange pouvoir de deplacement. Une question de controle, principalement, rien d'insurmontable pour un acrobate, deja habitué a penser en 3 dimensions...
Non, pas simple...
Vaincu par le sommeil, il se couche, et ferme les yeux. Dans le lit d'en dessous, sa soeur dort paisiblement
Viendra un jour ou ses questions trouverons une reponse, mais en attendant, il restera au cirque...
Kurt Wagner a le temps devant lui.
Alors qu'il rejoit le chapiteau de ses reves, il sourit...Peut etre son Pouvoir est t'il un don de Dieu, apres tout...
Fin.